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Blanc [signé par] [rédacteur : Pierre-Antoine Farnaud]

Mémoire pour la ville de Gap.

Description de l'exemplaire  (Voir : Notes sur la description des ouvrages)

S.l.n.n, An XII de la République [1804]
In-8° (242r x 194 mm), [2]-25 pp.
Mémoire pour la ville de Gap, Blanc, Pierre-Antoine Farnaud : faux titre Mémoire pour la ville de Gap, Blanc, Pierre-Antoine Farnaud : titre Mémoire pour la ville de Gap, Blanc, Pierre-Antoine Farnaud : reliure
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Notes sur l'exemplaire

Cartonnage bleu, pièce de titre rouge.
Exemplaire provenant de la bibliothèque de Paul Couturier de Royas avec les deux ex-libris (voir ex-libris dauphinois).
Note manuscrite sur le titre : "M. Farnaud, secrétaire général de la préfecture, en fut le rédacteur"

Notes sur l'ouvrage

L'objet de ce mémoire est de défendre la position de la ville de Gap et, plus généralement des Hautes-Alpes, à propos des projets routiers défendus et promus par le département de l'Isère et son préfet Fourier. Ces projets sont :
- ouverture de la route de Grenoble à Briançon, par l'Oisans et le col du Lautaret
- ouverture de la route de Grenoble à Sisteron, par le col de Lus-la-Croix-Haute
- abandon de la route de Grenoble à Gap par Corps et La Mure.

Le mémoire attaque plus particulièrement le premier projet, qui était aussi le plus abouti, suite aux actions du département de l'Isère. La loi du 9 ventôse an 12 (29 février 1804) venait de décider la construction de cette route, dont le financement de 500.000  francs était pris en charge par le département de l'Isère. Il existait aussi un mémoire imprimé qui en détaillait tous les avantages. Les motivations de la ville de Gap, qui représentait aussi une bonne partie du département, étaient essentiellement économiques et politiques. La ville souhaitait rester sur le passage des communications entre la France et l'Italie par le col du Mont-Genèvre, et entre Grenoble et Marseille par Sisteron. Elle craignait un risque de marginalisation, au moment même où la prospérité revenait dans le département. Mais, au-delà de ces arguments, le mémoire voulait « prouver que les fortes dépenses auxquelles on entraine le gouvernement, seront très onéreuses à l'Etat sans un grand but d'utilité publique. »  Pour cela, le rédacteur insiste surtout sur les dangers et les risques d’impraticabilité de la route. Ils sont intéressants à rapporter, car, en filigrane, c'est aussi une image de la montagne et de ses dangers, qui est rapportée (pp. 6-11) :

« A Vizille, la route nouvelle forme un embranchement avec celle de Paris à Marseille; elle se dirige vers une gorge noire et profonde où coule la Romanche qui prend sa source aux glaciers de la Grave : à peine trouve-t-on sur ses bords la place d'un chemin pour les gens de pied et pour les mulets accoutumés à passer dans les précipices. Des rochers, dont la tête est presque toute l'année couverte de neige, bordent la rivière de part et d'autre, et ne laissent aucune étendue à l'horison. On avance de la sorte jusqu'au Mont-de-Lans, montagne escarpée et toujours périlleuse, et de là, jusqu'à l'affreuse Combe-de-Mallaval.

Ici, le voyageur le plus impassible ne peut s'empêcher de reculer d'effroi; des bancs de rochers suspendus sur sa tête, et à chaque instant près de s'écrouler, menacent de l'engloutir au fond des précipices. Des avalanches dont le bruit retentit au loin, semblent lui montrer une mort certaine; le terrain n'est pas même assuré sous ses pas, et ses craintes sont d'autant plus fortes qu'elles se mêlent aux regrets de n'avoir pas profité, de la belle communication que lui offrait la grande route par Lamure et par Gap.

On dit qu'on a le projet d'élever la route sur l'un des flancs d'un rocher à pic; mais pense-t-on se jouer ainsi des obstacles de la nature ? Qu'on élève le chemin tant qu'on voudra, le pays en sera-t-il moins horrible ? les quartiers ou plutôt les bancs énormes de roches schisteuses seront-ils mieux assujettis à leurs masses, lorsque les eaux pluviale les pénétreront en automne, en hiver, au printemps ? les amas de neige resteront-ils suspendus au sommet, quand les chaleurs les détacheront des pentes sur lesquelles ils reposent ? Que l'on nous dise d'un cabinet que dans cette partie on évite les obstacles en passant trois fois d'une rive de la Romanche à l'autre; cela peut être entendu par ceux qui n'ont jamais connu les localités; mais lorsqu'on sait que dans toute cette traversée le danger est le même, on nous permettra d'assurer que la nature des lieux s'oppose ici à tous les efforts de l'esprit humain.

Arrivé entre la Grave et le Villard-d'Arènes, le voyageur est encore menacé d'un péril imminent. Là gît une vaste ardoisière décomposée par l'infiltration des eaux; il s'échappe à tout moment de son sommet des blocs de schistes qui roulent avec fracas dans le torrent. Au pied se trouve le chemin que le passant, averti par les gens du pays, franchit toujours en courant. On se propose,à ce qu'on assure, de le couvrir par un mur de soutenement, adossé contre l'ardoisière; il serait curieux de savoir à quelle élévation on compte le porter. Quelques années suffiront sans doute pour combler le vide qui restera derrière le mur, si toutefois, dans une minute, un éboulement un peu considérable ne vient pas renverser le boulevard et anéantir toute communication.

Nous nous hâtons d'arriver au Lautaret. Cette montagne offre, pendant quelques mois, des pâturages riches et émaillés de fleurs; mais pourquoi nous dire d'un ton affirmatif : la tourmente n'y est jamais dangereuse; si elle n'y est pas dangereuse, pourquoi Humbert-Dauphin y fit-il construire une maison de secours ? Pourquoi l'hospitalier est-il particulièrement chargé de sonner la cloche pendant la durée des tourmentes, afin de ramener l'homme égaré ? Pourquoi enfin est-il obligé de le secourir ?

La tourmente n'y est pas dangereuse ! Si vous eussiez entendu le Citoyen Bonnaire, ancien Préfet des Hautes-Alpes, comme vous avez consulté son mémoire sur la statistique, il vous aurait appris que le 21 du mois d'août, en l'an 8, il avait failli y succomber, lui, le secrétaire général, l'ingénieur, et toute la suite; il vous aurait dit que le son lugubre de la cloche avait seul dirigé la marche de ces voyageurs aveuglés par la neige qu'un vent horrible poussait sur leur figure toute couverte de glaçons. Où donc était placé ce pic de rocher, qui selon vous couvre le Lautaret du côté du nord ?

Voila des faits qu'attesteront tous les habitans de cette contrée sauvage, et quoique vous ajoutiez qu'on ne cite pas de malheur qui y soit arrivé, ils vous avoueront que dans un grand nombre d'occasions, ils ont retiré des cadavres du milieu des fondrières, où des amas énormes qu'avait formés l'éboulement des terres des rochers ou des avalanche (1) .

Si au mois d'août , c'est-à-dire, dans le seul mois d'été de ce pays extraordinaire, on est surpris par les orages, on se demande en quel temps de l'année on pourra franchir l'espace depuis le Mont-de-Lans jusqu'au Monêtier, sans courir des dangers ? Serait-ce pendant les mois de l'hiver ? (2) cette espérance serait vaine : pendant le printemps qui se prolonge jusqu'à la fin de juillet ? le péril est plus imminent encore, puisque c'est alors que s'opère la fonte des glaces et des neiges, et que c'est par elle qu'ont lieu principalement la chute des terres et les avalanches : pendant l'automne ? mais c'est encore lors des pluies de cette saison que les bancs de rochers s'écroulent à l'improviste (3). Vous reste-t-il un mois ou deux sans autre danger que celui des tourmentes, dites-nous si, même en supposant que les talens connus des ingénieurs vous procurent une route aisée, c'est le cas de sacrifier des millions à de si faibles avantages, lorsque tant de projets utiles réclameraient les épargnes du trésor public et celles de vos concitoyens !

Au lieu d'exposer avec franchise aux yeux du gouvernement toute l'étendue de ces difficultés, afin qu'il pût les juger avec connaissance de cause, l'auteur, en les passant sous silence, n'a pas craint d'attirer sur lui une responsabilité morale, capable d'effrayer tout homme sensible à la gloire de sa patrie. Il nous parle des tourmentes du Mont-Cenis, comme pouvant engloutir les malheureux soldats qu'on y expose, et de celles du Lautaret, comme n'étant jamais dangereuses (4); ainsi il distingue entre une tourmente et une tourmente : autant vaudrait-il dire que la mort n'est pas toujours la mort. Il se plait à nous entretenir des avantages de la communication, comme si quelqu'un pouvait douter qu'abréger les distances ne soit une chose utile; mais il se garde bien de montrer le revers de la médaille où l'on aurait lu en grands caractères : L'entreprise est impraticable.

(1) Le citoyen Rey, brigadier de la gendarmerie nationale à la Grave, maintenant à Gap, nous assure qu'il a assisté à la levée des cadavres de trois militaires qui, à la fois, furent engloutis, en l'an 5, dans la Combe-de-Mallaval; chacun sait que le citoyen lzoard, gros propriétaire du Monêtier, périt entre le Villard-d'Arènes et le Lautaret par l'effet de la tourmente; hâtons-nous de tirer le rideau; combien de faits semblables n'aurait-on pas à citer, s'i n'était pas si pénible de les recueillir ?
(2) On s'est obstiné, à Grenoble, pendant l'hiver de cette année, l'un des plus doux qu'on ait eu depuis long-temps, à diriger par cette route les militaires qui se rendaient dans la 27.e division. Le Maire de Vizille, pour leur éviter des dangers trop certains, a pris sur lui de les faire passer par Gap, où on leur a donné de nouveaux coupons.
(3) La commotion est si forte qu'elle détache et précipite les neiges de chaque rocher voisin, en sorte que le voyageur est exposé à être atteint de toute part.
(4) Il est connu que la montagne du Lautaret est aussi élevée et plus à découvert que celle du Mont-Cenis, que par conséquent les vents, unique cause des tourmentes, y dominent d'avantage. »

Les arguments contre la route par le col de Lus-la-Croix-Haute sont moins développés.

L'opposition à ce projet était menée par le préfet des Hautes-Alpes, le baron Ladoucette.  Pour ne pas s'exposer personnellement, et donner le sentiment de s'opposer publiquement à son collègue Fourier de l'Isère, il a fait signer ce mémoire par le maire de Gap, Etienne Blanc. La rédaction en a été assurée par son homme à tout faire et fidèle serviteur, le secrétaire général de la préfecture, Pierre-Antoine Farnaud. Au passage, celui-ci n'est pas avare d'éloges et de flatteries pour son préfet : « les témoignages publics dont nous sommes environnés, et qui font autant l'éloge du zèle et de l'activité du premier magistrat des Hautes-Alpes, qu'ils rendent un digne et éloquent hommage à la sagesse de son administration. » (pp.20-22).

Au début du mémoire, le titre est :
Mémoire pour la ville de Gap, chef-lieu du département des Hautes-Alpes.
Il est signé en fin : « Gap, le quinze germinal, an douze de la République française. Le Maire de la ville de Gap, BLANC. » [Le 15 germinal an XII correspond au 5 avril 1804.]

Il a fait l'objet d'un article de présentation et d'une reproduction avec notes dans le Bulletin de la Société d'Etudes des Hautes-Alpes, 1995-1996, pp. 69-105 : Le désenclavement des Hautes-Alpes, par Bernard Oury (voir lien ci-dessous).

Un exemplaire fait partie des ouvrages donnés par Aristide Albert à la bibliothèque de la Société d'Etudes des Hautes-Alpes en 1889 (BSEHA, 1889, pp. 364-367), qui précise : « une note manuscrite ajoute "M. Farnaud, secrétaire général de la préfecture, en fut le rédacteur" ». C'est la même note manuscrite que notre exemplaire.

Maignien (Anonyme) : 1573 : « Ce mémoire, signé Blanc, maire de Gap, a été rédigé par M. Farnaud ». Il donne Paris comme lieu d'édition.

Etienne Blanc

Né à Gap le 20 juin 1745, fils d'Etienne Blanc, notaire et procureur, et de Lucrèce Blanc, Etienne Blanc, lui-même notaire, a été nommé maire de Gap en 1803. En conflit avec le préfet Ladoucette, il a été révoqué par celui-ci le 3 octobre 1806. Il a lui-même démissionné le 15 mars 1807. Le conflit portait sur un point de forme. Dans sa correspondance administrative, le maire affectait avec persistance de terminer ses lettres au préfet par cette simple formule : « Je suis avec considération... » Le ministre, informé, fait enjoindre au maire d'avoir à suivre la formule officielle : « avec respect. » Suite à cette révocation, Etienne Blanc s'est défendu en faisant publier : Mémoire justificatif pour M. Blanc, maire de la ville de Gap, contre M. Ladoucette, préfet des Hautes-Alpes, Paris, Rougeron, 1807, in-4°, II-49 pp. Le fond du conflit était probablement, pour reprendre la formulation de Joseph Michel, «la lutte pour l'indépendance municipale contre le despotisme du pouvoir centralisateur ».

Etienne Blanc est décédé à Gap le 19 août 1830.

Références  (Voir : Liste des sources et références)

Le désenclavement des Hautes-Alpes, par Bernard Oury : cliquez-ici.

Sur l'histoire de cette route, on peut consulter utilement : André Allix, La construction de la route du Lautaret. In: Les Études rhodaniennes. Vol. 5 n°2-4, 1929. pp. 273-292 (cliquez-ici) et plus particulièrement les pp. 281-283. Il met bien en valeur l'opposition farouche de Ladoucette à ce projet, mais aussi, au-delà des deux départements concernés, que cette route se trouvait au cœur des enjeux du passage entre la France et l'Italie, soit par le Mont-Cenis, soit par le Mont-Genèvre.

Autre référence, beaucoup plus rapide sur cette période historique de la construction de la route du Lautaret : Etude géographique et historique sur la route du Lautaret, par Mlle
Vaughan. In Annales de l'université de Grenoble, 1912 (cliquez-ici).

Sur Etienne Blanc :
Etat civil de Gap
Histoire de la ville de Gap, p. 301
Un épisode du conflit Blanc-Ladoucette, par Joseph Michel, BSEHA, 1908, pp. 298-301.

Maignien (Anonyme) : 1573
BNF : 4-LK7-2947, qui signale qu'il a été rédigé par P.-A. Farnaud, avec cette note : « Au sujet des prétentions de la ville de Grenoble à ouvrir plusieurs routes qui détruiraient la prospérité de la ville de Gap. »
BMG : 3 exemplaires.