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Colaud de la Salcette
De Grenoble au Bourg-d'Oisans, à la Grave et à Saint-Jean-de-Maurienne par le col du Galibier, en 1784. Récit publié par A. Masimbert.
Description de l'exemplaire (Voir : Notes sur la description des ouvrages)
Grenoble, Allier, 1889, in-8° (240 x 150 mm), 33 pp. (paginées de 190 à 222). | |
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Notes sur l'exemplaire
Pages extraites d'un exemplaire de l'Annuaire de la Société des Touristes du Dauphiné, 1888, sous une chemise, avec titre manuscrit : "Colaud de la Salcette. 1784. Voyage au Bourg d'Oisans, à La Grave et au Col du Galibier. Edité par A. Masimbert, Grenoble, Allier, 1889".
Notes sur l'ouvrage
A notre connaissance, ces quelques pages
sont la
première relation d'un voyage dans l'Oisans, avec la
volonté affichée de découvrir les montagnes
et les glaciers. La démarche de Colaud de La Salcette
est déjà celle d'un touriste, au sens que l'on donnait
alors à ce terme. Il fait preuve d'une
véritable curiosité pour les montagnes qu'il voit,
avec un intérêt particulier pour les glaciers.
Malheureusement, ce n'était pas un scientifique et l'observation
et l'exploration n'ont pas été poussées très loin.
Alors qu'il était conseiller
au parlement de Grenoble, Colaud de la Salcette, "ennuyé
d'avoir passé l'année à m'occuper
d'affaires que j'entends mal", fait le projet, avec son ami
Savoye de Rollin "de courir les montagnes, d'y
chercher un air pur et l'oubli de la mauvaise foi et de la corruption".
On retrouve dans ces quelques mots l'influence de la vision
rousseauiste de la montagne qui oppose la pureté de
la montagne à la
corruption de la ville. On verra aussi qu'un des buts de ce voyage
était de s'approcher des glaciers de l'Oisans, preuve d'une
curiosité scientifique probablement influencée par
l'action contemporaine et la renommée de Saussure dans le massif du Mont-Blanc.
En définitive, sans Savoye de Rollin, mais avec M. de Fondville
et l'abbé Jean-Baptiste Hélie,
ils quittent Grenoble le 31 août 1784. Après une
première nuit à Gavet, il restent 2
jours à Bourg d'Oisans, dont ils repartent
le vendredi 3 septembre matin, sans l'abbé Hélie,
"pour aller visiter les glaciers du Mont-de-Lans" (p. 199).
Ils rejoignent le Mont-de
Lans, village par lequel passait alors la route du Lautaret pour franchir les gorges de
la Romanche. La route actuelle n'existait pas. Pour la
première fois, ils s'approchent des glaciers tant
désirés :
"Au-dessus [de la montagne du Mont-de-Lans] s'en
élève une autre couverte de pelouses et de
prairies terminées par une forêt ; on l'appelle
l'Alpe de l'An, elle est couverte de troupeaux et conduit au glacier
que nous voulions voir au retour, qui se prolonge le long de la combe
dite de Malaval jusqu'au delà du Villard-d'Arêne,
c'est-à-dire à environ cinq lieues." (p. 201).
L'Alpe de l'An s'appelle aujourd'hui l'Alpe de Mont-de-Lans
sur le territoire de la station de ski des Deux-Alpes.
Continuant leur route, ils passent pas
l'hospice de l'Oche (Auch, dans le texte de Colaud). "Nous voulions de
là parvenir au glacier dont nous n'étions
séparés que par quelques rochers recouverts
d'herbe et de pelouses, le long desquels il paraît facile de
grimper." (p. 201). Aujourd'hui, à l'Oche, le glacier du
Mont-de-Lans est visible au loin au sommet de la falaise qui
domine au sud la vallée de la Romanche. Ces quelques lignes
laissent penser qu'il descendait alors vers la combe de Malaval.
Rappelons que c'était l'époque de l'optimum du petit âge
glaciaire et que les glaciers avaient une ampleur
inconnue aujourd'hui. Ce phénomène est
bien connu pour la massif du Mont-Blanc. De nombreuses
représentations contemporaines (gravures, dessins,
peintures, etc.) permettent de mesurer l'ampleur de la poussée glaciaire à la fin du XVIIIe siècle. Pour
l'Oisans, rien de tel. Il faut se contenter de ces quelques indications
glanées dans les rares textes de l'époque comme
celui-ci.
Le glacier du Mont-de-Lans depuis l'emplacement de l'hospice de Loche sur la route du Lautaret. |
Simple conjecture de notre part, mais le glacier devait
peut-être arrivé jusqu'au point marqué par la
flèche rouge :
Ils atteignent alors la Grave :
"Passant à la Grave, nouveau désir de parvenir
aux glaciers dont nous nous étions encore
rapprochés de très près, mais
impossibilité physique d'y atteindre; ils ne sont
praticables que l'été, et ce n'est jamais sans
péril que les chasseurs ou contrebandiers s'y exposent; ils
tiennent à ceux de Vallouise et sont immenses. Nous
arrêtant à la Grave, il nous prit fantaisie de
voir le revers de la montagne au bas de laquelle ce village est
situé; nous eûmes alors toute ces horreurs en
face; chaque pas que nous faisions nous en faisait découvrir
de nouvelles : ce n'était que masses énormes
placées en bancs les unes sur les autres; celles qui
étaient différemment construites, mais d'une
manière moins régulière, et pour le
moins aussi frappantes ne ressemblent pas mal à des
débris immenses de vieilles fortifications que le temps
aurait détruites. Je dominais sur tout; j'eus voulu
être au milieu de ces montagnes dont je n'étais
séparé que par cette combe de Malaval, au-dessus
de laquelle je m'étais si prodigieusement
élevé que, du bord des rochers qui la rendent
presque impénétrable au jour, un pont d'une seule
arche étroite aurait suffi pour m'y porter; L'espace me
parut si resserré que je crus n'avoir qu'un saut
à faire pour y descendre, mais il eût
été périlleux. Je jouis un instant de
ce coup d'œil unique et dont je serai toujours
frappé. Je voyais, au fond du précipice
exactement à pic et taillé dans le roc,
l'écume et le bouillonnement de la rivière sans
en entendre le bruit dont deux heures plus tôt je venais
d'être étourdi." (p. 202).
L'expression "le revers de la montagne
au bas de laquelle ce village est situé" n'est pas
très claire. La suite du texte permet de
comprendre qu'ils sont montés au hameau des
Terrasses, puis au Chazelet, d'où ils ont pu avoir un point
de vue sur le massif de La Meije, le Rateau et le glacier du
Mont-de-Lans. Dans ces quelques lignes, nous avons la
première mention littéraire du massif de La
Meije. Colaud de la Salcette est partagé entre un
sentiment d'horreur et une fascination pour ces montagnes. En
définitive, la fascination prédomine. Ces lignes, ainsi
que la suite du texte, indiquent très clairement que Colaud
de la Salcette admire ce paysage, qu'il souhaite découvrir
et explorer. Ce n'est peut-être que pour céder
à des conventions littéraires de son
époque qu'il qualifie ces
montagnes d'horreurs.
La Meije, le Râteau et le glacier du Mont-de-Lans depuis le Chazelet, au-dessus de La Grave |
Ce soir-là (3 septembre), ils dorment à
Villar-d'Arêne ("mauvais lit, mauvais souper"). Le lendemain,
alors que l'abbé Hélie ne les a pas encore
rejoints et qu'ils abandonnent l'idée d'aller à
Briançon "y embrasser quelques amis", ils poursuivent leur
voyage de découverte.
"Nous avions en face et d'assez
près ces glaciers inaccessibles dont nous brûlions
d'approcher. Nous trouvons au Villard un homme d'une mine qui
annonçait un drôle dégourdi et qui
connaissait parfaitement les Alpes énormes qui nous
environnaient. Impossible à vous et à moy,
surtout en cette saison, nous dit-il, de parvenir à ces
glaces qui vous étonnent : personne n'ose les traverser
qu'il ne risque de la vie; elles s'étendent depuis l 'Alpe
d'Arêne jusqu'à l'Alpe de l'An, tiennent
à d'autres glaces qui aboutissent aux montagnes de
Vallouise; il nous montrait du geste et de la voix tout ce qu'il avait
l'air de posséder à merveille, il nous parlait de
pays qui nous étaient peu connus et notre
curiosité s'accroissait de toute l'impossibilité
qu'il mettrait à la satisfaire." (p. 204).
Avec cette évocation de cet
homme "dégourdi", on fait connaissance de tout ce peuple de
montagnards qui connaissent parfaitement ce monde par leur travail ou
leurs affaires, comme cet homme qu'ils ont croisé
à l'Oche, minéralogiste qui va vendre le
résultats de sa collecte en Russie. Ce sont ces
hommes qui servent déjà de
guides à ces premiers explorateurs du massif . Ils
peuvent leurs donner les clés qui permettent de
pénétrer ce monde inconnu et
inexploré. Notons que le guide croisé par Colaud
de la Salcette semble avoir un peu joué de la curiosité de
notre homme, en lui faisant en même temps miroiter les
"trésors" de ces mondes inconnus, tout en lui en refusant
l'accès ! Il leur conseille alors d'aller au Lautaret, puis
au Galibier, afin de s'"élever au dessus de ces rocs de
glace infiniment plus encore qu'ils ne paraissent l'être de
vous." (p. 204).
Le samedi 4 septembre, il prennent la route du col du Lautaret, dans le mauvais temps.
"A la moitié de l'Autarêt nous découvrîmes au-dessous de nous une gorge formée par deux rochers escarpés, fermée par un troisième qui l'est davantage. Ils sont couverts de glace, touchent à la Vallouise et sont contigus à ceux dont nous avons déjà parlé. C'est là, et sous une voute de glace azurée et transparente, que la Romanche prend sa source : elle n'est presque qu'un ruisseau, même assez peu considérable." (p. 206).
Passage étonnant ! Aujourd'hui, lorsque on monte au Lautaret, on ne voit jamais les sources de la Romanche. Est-ce que cela veut dire que les glaciers du fond de la vallée de la Romanche (Arsine, Clot des Cavales, Plate des Agneaux) descendaient beaucoup plus bas qu'aujourd'hui, au point d'être visibles depuis la route ? Autre hypothèse, c'est le glacier de l'Homme, plus développé qu'aujourd'hui, qui descendait jusqu'à la vallée. Le torrent qui en sort a été pris pour la Romanche par Colaud de Salcette. Que n'a-t-il fait un dessin de ce qu'il voyait !
Poursuivant leur route, ils passent le
col du Lautaret, afin de prendre le chemin du col du Galibier
(la
route du col du Galibier commençait en contre-bas du col du
Lautaret, à la différence de la route moderne qui
part du
col) :
"Je venais de voir la Romanche sortir
d'un bloc de glace; une cascade bruyante roulait ses eaux
vis-à-vis de moi sur la partie opposée de
l'Autarêt et, à travers des rochers garnis de
mousse, ses eaux venaient baigner des prairies remplies de faucheurs
robustes et contents; des troupeaux immenses les entouraient. Ce
ruisseau ne m'intéressa d'abord que par le spectacle qu'il
m'offrit ; quand je le vis prendre un cours plus
réglé vers le Briançonnais, j'en
demandai le nom : la Dure,
me dit-on. – Il forme donc la Durance? - C'est cela
précisément." (p. 207).
Dans cette cascade, on
reconnaît celle qui a été
dessinée par W. Brockdeon en 1828. C'est par erreur qu'on lui
nomme la rivière comme étant la Durance. Il
s'agit évidemment de la Guisane.
La cascade de la Guisane, vue prise de l'ancienne route du Lautaret, après le passage du col en direction de Briançon. Gravure extraite de Illustrations of the Passes of the Alps, de William Brockedon. |
La cascade de la Guisane, vue prise de l'ancienne route du Lautaret, après le passage du col en direction de Briançon. |
Arrivé au Galibier, il
s'extasie : "Je n'avais nulle idée d'un aspect aussi
imposant , la variété de ces masses
énormes en égalait l'étendue, tout
était montagne autour de moi, mais jetées avec
autant de confusion que si un géant était venue
dévaster leur enceinte. Une chose me frappa, c'est que dans
tout ce qui s'offrait à mon admiration on ne
découvrait quelques arbres et des forêts que dans
un éloignement incommensurables." (p. 208-209).
Le massif des Ecrins depuis le Galibier. |
La suite du voyage les fait
s'arrêter à Valloire ("Le gîte y fut
détestable"), après sept heures et demi de marche
depuis Villar d'Arêne, puis à
Saint-Jean-de-Maurienne. Ils retournent alors à Grenoble.
L'histoire de la découverte
de la montagne en France au XVIIIe
siècle peut laisser croire que seul le massif du
Mont-Blanc était un sujet d'exploration et de
découverte. Ce texte montre que l'élite
cultivée de
Grenoble était déjà sensible
à l'univers de la montagne et qu'elle
était prête à explorer les massifs qui
l'entouraient. Manquant de textes, on doit se contenter de quelques
récits épars, publiés longtemps
après. Cependant, tout laisse penser que la
démarche de Colaud de la Salcette n'était pas
isolée. A l'occasion, il se fait le défenseur de
l'Oisans : "Tout homme curieux des grands ouvrages de la
nature, soit minéralogiste, agriculteur ou botaniste, tout
voyageur enfin ou habitant quelconque du Dauphiné, qu'il
n'aille rien chercher évidemment ailleurs sans avoir vu
l'Oysans." (p. 200).
Pour finir, notons que l'attitude de
Colaud de la Salcette est contradictoire et ambivalente. Tout le long
du périple, on le voit désireux de
s'approcher des glaciers et être toujours dans
l'impossibilité de les atteindre. Chaque fois qu'il en
est proche, il y a l'espérance d'un
accès plus facile, jusqu'à ce qu'on lui dise que
ce n'est plus possible à cette saison. On le
sent victime de sentiments contradictoires
entre l'attirance et la peur de ce monde inconnu. Pourtant, il
ne manque pas de "passeurs" qui connaissent bien ce monde et qui
auraient pu le faire pénétrer dans le
massif. Cependant, les voyageurs restent en marge du massif et
se contentent d'en apprécier la beauté depuis les
belvédères que sont les hameaux de la
Grave et le col du Galibier.
Joseph-Claude-Louis Colaud de la Salcette (1758-1832) appartient à une branche grenobloise de la famille briançonnaise des Colaud de la Salcette. Conseiller au parlement du Dauphiné, il a été préfet de la Creuse en 1802, puis député de ce département en 1807 et en 1813. Membre de l'Académie delphinale, passionné par la botanique, il fit de nombreuses excursions avec les botanistes Dominique Villars et Liotard fils, dont il n'a malheureusement pas laissé de récits aussi circonstanciés que celui qui est publié ici.
Ces pages sont extraites d'un
document resté manuscrit qui est publié pour la
première fois par A. Masimbert, en 1888, dans l'Annuaire de la
Société des Touristes du Dauphiné. Il en a été fait un
tiré à part, qui reprend les mêmes
pages :
Grenoble, Imprimerie F. Allier père & fils, 1889, 35
pp.
Il existe une long poème de Mme Laugier de Grandchamp, paru dans l'Almanach des Muses de 1786, évoquant le Briançonnais et la route de Briançon à Grenoble par la Lautaret : Description de la Route de Briançon à Grenoble, par le mont de Lautaret, le mont de l'An & l'Oisan. En comparant les deux textes, ce sont deux visions contemporaines de la montagne, deux sensibilités qui se confrontent.
Commentaire personnel
Cette plaquette n'est pas un objet bibliophilique. C'est pourtant un texte indispensable, et mal connu, pour comprendre et percevoir comment les contemporains de Saussurre pouvaient vouloir aussi explorer les montagnes du Dauphiné et découvrir l'Oisans.
Références (Voir : Liste des sources et références)
Texte complet (en pdf) des pages consacrées au trajet du Mont-de-Lans au Galibier (pp. 201-208).
BNF : 8-L30-204 et RES 8-LK1-632